HISTOIRE

PAUVRE HAÏTI

Le 12 avril 1770, la terre a tremblé en Haïti.
Elle tremblera encore le 20 avril, puis le 3 juin, jour de la Pentecôte à 7h1/4 sur la pointe de l’île.
En fait, j’aurais pu choisir n’importe quelle date, tant l’histoire d’Haïti est jalonnée de catastrophes naturelles (séismes, ouragans), aggravées par la situation politique, économique, et sociale. Inutile de les énumérer toutes. Peut-être peut-on s’attarder sur quelques-unes.
Deux années sont particulièrement marquantes : 1751 et 1770.
Ainsi, le 22 novembre 1751, tout ce qui n’était pas en maçonnerie a été détruit. A partir du 8 décembre, on a ressenti 25 secousses qui se sont étalées sur plus d’un mois. On cherche à se placer sous des tentes, rapidement fabriquées à partir de voiles de navires.
A Saint-Domingue voisine, il y a de gros dégâts. A Port au Prince, il reste une seule maison debout. Le séisme a été précédé par une sorte de bruit de canon souterrain. Les mouvements de la terre se font de l’est vers l’ouest. Des gens affolés sautent par les fenêtres. Des témoins de l’époque racontent que des soldats ont eu si peur qu’ils sont devenus épileptiques. Le sol est resté calme jusqu’au 27 décembre 1767.
Le plus grand désastre se produit le 3 juin 1770, vers 19h15, à Port au Prince, capitale de la colonie. La ville est entièrement détruite. Le lendemain, au jour, on découvre plus de 200 cadavres. Des incendies se déclarent à partir des cuisinières en fonction pour préparer le dîner. Il faut les combattre avec les moyens du bord. Des crevasses se sont formées, laissant sourdre une eau pleine de sel et de soufre. Seuls, 43 bâtiments ont résisté. Comme par hasard, ce sont ceux des Français, situés près du port. Heureusement, la solidarité a vite joué.
Des campagnes, sont venus des légumes, de la viande et de la volaille, distribués gratuitement. On a reconstruit, en hâte des fours car le prix du pain s’envolait.
Mais ce n’est pas fini car il y aura environ 200 secousses jusqu’à le fin octobre. Il y aura encore une violente secousse le 20 juillet 1785. On passera sur la multitude de secousses qui se produiront pendant les deux siècles suivants.
J’en viens à ce qu’il s’est passé le 12 janvier 2010 à 16h53. Ce fut sans doute le plus terrible de l’histoire de Haïti. Ce séisme avait une magnitude très forte : 7 à 7,3 (échelle qui va jusqu’à 9). Or à partir de 7, c’est très destructeur. L’épicentre se situait à 25 km au sud-ouest de Port au Prince, et à une profondeur de seulement 10 km. Il a été suivi d’une douzaine de secousses de force entre 5 et 6. Il a été ressenti jusqu’à 60 km au sud-ouest de Port au Prince.
Haïti a le malheur de se situer au contact de deux plaques tectoniques : la plaque des Caraïbes et celle de Panama – Amérique du sud. C’est donc une zone fragile qui l’expose aux séismes. On est dans un cas de subduction : une plaque qui passe sous une autre (au rythme de 2 cm /an). Ailleurs, cela peut donner des volcans.
Le bilan est lourd, très lourd en 2010. On dénombre plus de 280 000 morts, 300 000 blessés et 1,3 millions de sans-abris.
Dans les jours qui ont suivi, il y a eu 52 répliques de magnitude entre 4 et 5. A Port au Prince, le Palais national et la cathédrale Notre Dame ont été détruits. Des décombres, on a réussi à sauver 211 personnes. A Carrefour (c’est le nom d’une ville) qui a 300 000 habitants, 40% ont été détruits. A Léogane (200 000 habitants), la ville a été détruite à 90%. Le problème est d’enterrer les morts (la tradition du vaudou interdit l’incinération). Les hôpitaux, en partie détruits, ne peuvent prendre en charge tous les blessés.
L’armée de l’air argentine a monté un hôpital de campagne. L’aéroport est inutilisable. Il faut passer par Saint-Domingue, mais les routes sont encombrées de rochers. Il est plus que temps car à partir du 19 janvier, des maladies comme la dysenterie, commencent à se développer.
Le port est administré par les Etats- 
Unis qui ont prévu un porte-hélicoptères. L’ONU a créé la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation de Haïti). Mais cela ne peut empêcher le trafic d’enfants pour la prostitution et le trafic d’organes. 
Néanmoins, la générosité internationale existe. Le roi du Maroc, Mohamed VI envoie 14 millions de dollars, des aliments et des médicaments. Un pays pauvre comme le Tchad envoie[J1] 18 millions de dollars. Le Dalaï Lama envoie 100 000 francs suisses. Dès le 17 janvier le CICR (Comité International de la Croix Rouge) et le Croissant Rouge (équivalent musulman de la Croix Rouge) envoient des spécialistes et du matériel médical. L’Union Européenne fait une avance de 100 millions de dollars.
Toutes ces aides sont importantes, mais dans le contexte politique du pays, Haïti aura de mal à s’en remettre. Les séismes ne sont pas tout. Haïti est situé sur la trajectoire des cyclones tropicaux qui peuvent faire des ravages. Là aussi, il serait bien fastidieux de les énumérer tous. Il suffit de s’intéresser à celui qui a dévasté le sud-ouest de l’île dans la nuit du 3 au 4 octobre 2016. Il s’agit de l’ouragan Matthew de force 4 sur une échelle de 5 (échelle Saffir-Simpson). Cet ouragan a fait près de 5 000 morts, 4 000 blessés, 175 000 sans-abris. Les cultures ont été ravagées.
Les Nations Unies ont déclenché un plan d’urgence et débloqué 100 
millions de dollars, de la nourriture, des forces de maintien de la paix. 
Comme si la nature n’était pas assez féroce avec Haïti, les hommes ont bien souvent aggravé les choses. Ca commence dès le 1er janvier 1804, quand à la suite d’une révolte des esclaves contre les colons, Haïti se proclame indépendant.
C’est la première colonie à le faire. D’autres suivront en Amérique latine à partir de 1823. Mais cette indépendance a été chèrement payée.
Pour compenser 
(compenser quoi ?), la France exige 150 millions de francs (selon le New York Times, cela équivaudrait actuellement à 525 millions d’euros). Ce qui était largement supérieur aux pauvres ressources du pays. Or, comme Haïti ne peut payer cash, il est obligé à emprunter à des banques….françaises. S’ajoutent donc des intérêts (qui vont enrichir les actionnaires des dites banques).
Haïti, ne 
pouvant jamais investir, ne s’en est jamais remis. D’autant que ses dirigeants ont été souvent incompétents, corrompus. Ou assassinés….
Là encore, il y aurait une 
longue liste de dictateurs à présenter. Contentons-nous de l’actualité. Ce n’est déjà pas si mal. Les Duvalier, père et fils, ont régné de manière féroce et arbitraire de 1957 à 1986. Depuis cette époque, c’est le règne de l’instabilité, combinée à la violence et à la corruption. Le dernier Président Jouvenel Moïse a été assassinée le 7 juillet 2021. C’est Ariel Henry qui assure l’intérim, mais il est impopulaire et Haïti s’enfonce dans la violence des gangs. Ceux-ci pillent, violent, rançonnent, tuent. Ils sont les maîtres du pays. Ils ont pris le Palais présidentiel, les commissariats, les prisons, d’où ils ont libéré des centaines de prisonniers qui viennent ajouter à l’anarchie. Le caïd des caïds s’appelle « Barbecue », tout un programme! Pourtant, dans les années 1950 – 970, Haïti était désignée comme « la perle des Antilles ». Elle attirait les touristes. Le Larousse de 1962 indique que l’agriculture est florissante. Haïti exporte canne à sucre, sisal, coton, banane et même cacao. C’est loin tout ça. C’est véritablement un autre siècle. 
Depuis le règne dictatorial des Duvalier (père et fils) de 1957 à 1986, Haïti descend aux enfers : incompétence, violence, corruption. Au point que le pays est devenu ingouvernable. Aucune puissance ne veut mettre son nez dans cet enfer. Les Etats-Unis, où il y a de nombreux immigrés haïtiens, surveillent de loin. L’Union Européenne a rappelé ses ambassadeurs. C’est plus prudent, mais tant pis pour Haïti. Russes et Chinois, en général prompts à investir les pays pauvres, sont pour l’instant discrets. Seul, le pauvre Kenya a proposé une force d’intervention. Un borgne au service d’un aveugle, ont cyniquement raillé certains.
Ariel s’y est rendu dernièrement, mais il n’a pu rentrer : l’aéroport lui est interdit. Il a démissionné, comme tout le monde le lui demandait. Les gangs disent remettre de l’ordre. Mais de quel ordre s’agit-il ? Qui peut gouverner – et qui en a envie ? – un Etat où il n’y a plus d’Etat ? Qui saura trouver une solution ? Et laquelle ?
« Haïti chérie », c’est le cri de Frédéric Marcelin (1848 –1917) que l’on considère comme le père du roman haïtien.
Pour lui : « En dépit de tout, Haïti est un adorable petit pays, même pour nous Haïtiens quand nous sommes obligés de le fuir ».
Dans ses malheurs, Haïti a donné de grands écrivains. Outre Frédéric Marcelin, on peut citer, entre autres, Anténor Firmin (1850 –1941) et un contemporain : Dany Laferrière, né en 1953, à Port au Prince, et actuellement sociétaire de l’Académie Française.

Dans le calendrier républicain, le 12 avril est le jour du marronnier.

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